Franchement, la réincarnation, on en parle souvent sans trop savoir ce que ça veut dire. On imagine un peu vite qu’après la mort, hop, on revient en chat, en moine, ou en voisin d’en face. Mais dans le bouddhisme tibétain, c’est beaucoup plus subtil — et surtout, plus profond. Les textes anciens ne parlent pas d’un “moi” qui se balade de corps en corps, mais d’un courant de conscience qui continue, sans jamais être exactement le même.
Un concept plus fluide qu’on ne le croit

Dans les textes tibétains, notamment ceux inspirés du Kangyur (les paroles attribuées au Bouddha), la réincarnation n’est pas une réplique exacte de notre identité. C’est plutôt un mouvement, une continuité d’énergie. Le mot tibétain utilisé est souvent “Punarbhava”, qui évoque la “renaissance”, pas la “réincarnation” au sens occidental du terme.
Autrement dit : il ne s’agit pas de Jean qui revient en chien. Ce serait trop simple. Il s’agit plutôt d’une conscience qui, influencée par le karma (nos actions, nos intentions, nos paroles), prend une nouvelle forme adaptée à son évolution. Ce n’est pas punitif, c’est mécanique. Un peu comme une graine qui, selon le sol, pousse différemment. Fascinant, non ?
Les textes tibétains parlent de continuité, pas d’identité
Ce qui m’a surpris, c’est que dans le Bardo Thödol — connu en Occident sous le nom de “Livre des morts tibétain” —, on ne parle jamais d’une “âme” immortelle. Le bouddhisme tibétain rejette même cette idée. Ce qu’il y a, c’est un enchaînement de causes et de conditions. Après la mort, la conscience traverse différents états, appelés bardos, avant de renaître. C’est un peu comme une transition énergétique entre deux existences.
Et ces états intermédiaires peuvent durer, selon les croyances, jusqu’à 49 jours. Certains moines tibétains affirment d’ailleurs reconnaître des signes précis de cette transition, surtout chez les tulkous, les lamas réincarnés. Quand on pense que le Dalaï-Lama actuel est considéré comme la 14e incarnation d’un même esprit… ça donne le vertige.
Le rôle du karma : pas une punition, mais une logique

Beaucoup croient que le karma, c’est une sorte de jugement cosmique : tu fais le bien, tu gagnes des points ; tu fais le mal, tu reviens en mouche. En réalité, les textes anciens le présentent plutôt comme une loi de cause à effet. Chaque action laisse une empreinte dans le courant de conscience. Ces empreintes, accumulées, façonnent la future existence. Rien de magique, rien de moral — juste une continuité logique.
Le moine Gampopa, dans son traité du Joyau Ornement de la Libération, expliquait que “tant que le désir de vivre demeure, le cycle des renaissances continue”. En clair : tant qu’on s’accroche à ce “je”, on tourne dans la roue. Le but du bouddhisme tibétain, c’est pas de bien renaître, c’est de sortir du cycle.
Et les maîtres réincarnés alors ?
Ah, la fameuse question des tulkous ! Ce système propre au Tibet fascine beaucoup les Occidentaux. Comment un enfant de 5 ans peut-il être reconnu comme la réincarnation d’un grand lama disparu ? En réalité, les recherches se basent sur des signes, des rêves, des objets que l’enfant reconnaît spontanément. Parfois, il y a même des lettres laissées par le lama précédent annonçant sa future naissance. Oui, ça semble incroyable — mais pour les moines tibétains, c’est une procédure sérieuse, presque codifiée.
Et ça, c’est un détail que j’adore : dans certains monastères du Kham (région de l’est du Tibet), on raconte que les anciens faisaient sonner des cloches devant les nouveau-nés pour tester leur réaction. Certains enfants se seraient mis à réciter des mantras sans qu’on leur apprenne… difficile à vérifier, mais ces histoires circulent depuis des siècles.
Réincarnation ou continuité ? La nuance qui change tout

Finalement, parler de “réincarnation” dans le bouddhisme tibétain, c’est presque un abus de langage. Le mot évoque trop l’idée d’un “moi” stable qui se balade de vie en vie. Or, les textes disent exactement l’inverse : il n’y a pas de moi permanent. Il n’y a que des causes et des effets, une conscience en mouvement, une suite d’expériences conditionnées.
Ça peut sembler abstrait, mais c’est aussi profondément libérateur. Si rien n’est figé, tout peut évoluer. Chaque acte, chaque pensée compte. Et si la prochaine “vie” dépend de ce qu’on sème maintenant… eh bien, ça donne envie de vivre un peu plus consciemment, non ?
En conclusion
La réincarnation, dans le bouddhisme tibétain, ce n’est pas une croyance naïve, c’est une façon d’expliquer la continuité de la conscience. Pas de Dieu, pas d’âme éternelle, juste un flot d’expériences interconnectées. Les textes anciens l’expliquent avec une précision presque scientifique, bien loin des clichés new age qu’on trouve partout.
Et si on prenait ça comme une métaphore ? Celle d’une responsabilité personnelle, d’une écologie intérieure. Parce qu’au fond, qu’on y croie ou pas, l’idée qu’on récolte ce qu’on sème, dans cette vie ou dans une autre, ça reste une sacrée leçon.

